Bali, l’île aux mille saveurs. Il y a des lieux où l’on revient d’abord par le palais. À Bali, avant même que le regard ne capte la courbe d’un temple ou le vert éclatant d’une rizière, c’est la mémoire du goût qui réveille les sens. À peine posée, je file vers Denpasar. Pas pour un panorama. Pour une assiette. Un warung modeste, une échoppe ouverte aux vents, où l’on sert encore le nasi campur comme dans les années 70 — riz blanc, légumes, poisson séché, œuf, un peu de feu, beaucoup d’âme.

Une cuisine qui raconte des siècles de brassage
Les racines de la gastronomie balinaise plongent bien au-delà de l’archipel. Des marchands arabes aux colons hollandais, en passant par les influences chinoises et indiennes, l’Indonésie est un carrefour où les saveurs se croisent, s’entrelacent, se métissent. Will Meyrick, chef globe-trotter enraciné à Seminyak, a sillonné l’archipel caméra au poing pour en capturer l’essence. À Ubud, dans son restaurant Hujan Locale, il propose une version contemporaine de plats hérités de Sumatra : poulpe grillé et acidulé à la carambole, curry végétarien au pakis et aubergines nappées de sambal, tout y est intense, texturé, presque charnel.

Denpasar : l’âme brute de Bali
Pour aller plus loin, Will me recommande d’abandonner les sentiers touristiques. Direction Denpasar, capitale ignorée, mais fascinante. Là, avec Kadek, guide local né entre ces murs, on partage un babi guling, cochon de lait rôti aux épices, croustillant à souhait, entouré d’un cortège de petites préparations aux goûts puissants : coco fraîche, riz, épices sombres, et même du sang coagulé, dans une explosion de textures inattendues.
Dans un autre warung, je découvre un breuvage étrange : daluman, gélatine d’herbe, lait de coco et sucre de palme. Ça a l’air louche, c’est glacé, c’est délicieux. Le marché central de Pasar Badung déborde de couleurs et de senteurs. Curcuma, galanga, vanille, cannelle, piments en tout genre : une pharmacopée de la cuisine balinaise.
Bumbu Bali : le cœur battant de chaque plat
C’est dans les mortiers en pierre volcanique que l’âme des recettes se forge. Heinz von Holzen, chef suisse tombé amoureux de l’île en 1990, le sait mieux que personne. Dans son école de cuisine à Tanjung Benoa, on pile ail, échalote, gingembre, curcuma, piment… tout un monde dans un bol. Ce bumbu Bali, ce mélange d’épices, est le cœur vibrant de la gastronomie locale, jamais le même d’un village à l’autre. Chez lui, au restaurant Art Cafe Bumbu Bali, il s’agit autant de transmission que de dégustation. La cuisine devient patrimoine.
Entre mer, volcan et mémoire familiale
Dans un tout autre décor, HOME by Chef Wayan, un écrin minimaliste à Pererenan, propose une vision moderne et végétale de la cuisine de Nusa Penida. Wayan y sublime la tradition sans la trahir. Ancien pêcheur devenu chef étoilé, formé à Chicago puis à New York, il propose un porridge de saison à la citronnelle et au basilic, du tempeh rôti sur lit de chou croquant — des plats qui respectent la terre, les saisons, et l’esprit de Bali.
Bali Asli : la tradition en majesté
À l’est de l’île, face au Mont Agung, Penny Williams a fondé Bali Asli. Cette Australienne venue en 2007 n’a jamais quitté l’île. Dans son restaurant, on cuisine au feu de bois, on broie les épices à la main, on écrit les menus à l’encre sur des feuilles de palmier. Chaque plat célèbre le terroir environnant : fougères sauvages, poissons épicés, lait de coco fraîchement râpé. Ici, tout est lent, vrai, vibrant. Le décor : une vallée patchwork de rizières et de jungle, avec en toile de fond le volcan sacré. Penny me sourit : « Chaque jour ici me fait chanter le cœur. »