Dans une Amérique obsédée par la vitesse, monter à bord d’un train Amtrak relève presque du geste poétique. Traverser le pays sur des rails, c’est se reconnecter au territoire, goûter à la lenteur, renouer avec des paysages oubliés et des villes fantômes. Des Rocheuses enneigées au bayou de la Louisiane, des falaises du Pacifique aux rives industrielles des Grands Lacs, le rail américain révèle une autre histoire. Un road trip immobile, au rythme du ballast.

Prendre le train aux États-Unis, c’est choisir un tempo à contre-courant, une cadence oubliée, presque insensée à l’heure des avions supersoniques et des GPS omniscients. Ici, le rail ne se contente pas de relier deux points. Il révèle. Il révèle une géographie secrète, des histoires en creux, des villes anonymes et des paysages à couper le souffle, entre rugosité industrielle et beauté brute.
Les rails comme fil narratif
Il suffit de s’installer derrière la vitre, de laisser filer le décor comme on tourne les pages d’un roman-fleuve. Du blanc éclatant des sommets de la Sierra Nevada aux falaises dorées qui plongent dans le Pacifique, des prairies à perte de vue du Midwest aux marais presque impassibles du sud, c’est un kaléidoscope de l’Amérique réelle qui défile, loin des clichés de cartes postales. Ce que le train effleure, ce sont des endroits que l’on ne verrait jamais autrement. Le revers d’une Amérique que l’on ne raconte pas assez.
Amtrak ou la nostalgie en mouvement
Amtrak, c’est la dernière grande ligne de train longue distance aux États-Unis. Une entreprise née en 1971, à mi-chemin entre le public et le privé, qui porte encore le souffle ancien de la conquête de l’Ouest. Ses lignes ont des noms qui sentent bon la littérature d’aventure : le Coast Starlight, le Silver Star, le California Zephyr. Dans leurs wagons, on voyage avec des inconnus que l’on quitte presque à regret, au détour d’un arrêt en rase campagne.
Les gares ? Des cathédrales. Celle de Los Angeles, avec ses lustres démesurés et ses azulejos art déco, pourrait abriter un bal. Celle de Washington D.C., toute en granit blanc et dorures, vous replonge dans une époque où le voyage était un art.
Des promesses d’avenir sur des rails de passé
Pour l’instant, les trains américains n’ont ni la vitesse des Shinkansen japonais ni les cabines cosy des couchettes européennes. Mais une révolution est en marche. Des investissements colossaux sont prévus pour moderniser la flotte, électrifier les lignes, créer de nouveaux itinéraires. En attendant, ces voyages sur rail gardent ce parfum d’un autre temps, où le chemin compte autant que la destination.
De Seattle à San Diego : une symphonie côtière
Sur 1 500 miles, le rail épouse la côte ouest. Seattle, San Francisco, Los Angeles, San Diego : des noms qui chantent à l’oreille. Sur certaines portions, la voie frôle littéralement le vide, avec l’océan Pacifique comme seul compagnon de voyage. On croirait le train prêt à plonger dans les vagues. À bord, les passagers se taisent. La beauté parle toute seule.
On s’arrête à Portland pour se perdre dans les sentiers boisés de la Columbia River Gorge. On traverse San Francisco, entre les hauteurs d’Alcatraz et le ruban rouge du Golden Gate. À Santa Barbara, on déguste un pinot noir dans un ancien entrepôt transformé en cave chic. Puis Hollywood, sa mythologie et ses sentiers escarpés jusqu’au célèbre panneau blanc. Enfin, San Diego, où la plage de Coronado brille littéralement, grâce aux éclats de mica dans son sable.
Miami – New York : les rivages de l’histoire
L’autre itinéraire majeur vous emmène de l’extrême sud de la Floride jusqu’aux gratte-ciel de Manhattan. Ce n’est pas un simple trajet, mais une traversée d’époques. Les marais du parc des Everglades ouvrent le bal, refuge des alligators et des lamantins. Puis vient la douceur sudiste de Savannah et Charleston, villes élégantes et hantées par leur passé esclavagiste, aujourd’hui vibrant d’une énergie artistique nouvelle.

À Washington D.C., les musées de la Smithsonian Institution racontent les mémoires du pays. À Philadelphie, berceau de l’indépendance, les murs parlent. Et à New York, le rail s’achève sur une ancienne voie ferrée aérienne reconvertie en jardin suspendu : la High Line, fil vert au cœur de la ville.
California Zephyr : la grande communion
Il y a un moment suspendu qui résume tout. À bord du California Zephyr, le plus long trajet quotidien du pays – 2 438 miles entre San Francisco et Chicago –, les passagers se retrouvent, sans filtre, sans écran. La 4G disparaît dans les montagnes. Les conversations s’invitent. On y croise des Amish en route pour la Pennsylvanie, des étudiants japonais en quête d’authenticité, un chef de train amateur d’animaux sauvages criant « bald eagle! » dans les haut-parleurs.
Le train ralentit dans les gorges du Colorado, flirte avec les falaises des Rocheuses. Une main frôle presque la pierre. Une harmonica entame un air. La magie opère. Et quelqu’un dit, dans un souffle : « C’est dans ces moments-là que j’aime encore ce pays. » Le genre de phrase qu’on n’entend jamais dans un terminal d’aéroport.
Cinq autres voyages pour s’enivrer d’Amérique
À travers les vitres rayées d’un train, l’Amérique se raconte autrement. Moins frénétique, plus vraie. Certaines lignes sont des fresques roulantes où la nature, l’histoire et les légendes du pays se succèdent, comme les chapitres d’un vieux roman d’aventure.
Empire Builder : la conquête intérieure
De Chicago à Seattle, l’Empire Builder file dans une diagonale sauvage. Il traverse les plaines infinies du Midwest, effleure les lacs gelés du Dakota du Nord et grimpe jusqu’aux vallées escarpées du parc national de Glacier, dans le Montana. Ici, le regard se perd dans des étendues si vastes qu’on se surprend à rêver de solitude. C’est aussi la route qu’empruntèrent Lewis et Clark, deux explorateurs mythiques qui, en 1804, partirent à la découverte de ce continent encore indompté.
Southwest Chief : en route pour le Far West

Le Southwest Chief relie Chicago à Los Angeles en balayant l’Amérique centrale. Les forêts se muent en désert, les buildings cèdent place aux mesas rouges. À Flagstaff, une navette vous mène droit au Grand Canyon. On peut aussi bifurquer vers Williams pour embarquer dans un train à vapeur d’un autre temps, le Grand Canyon Railway, qui serpente jusqu’au bord de l’abîme. Cette ligne sent bon le western, avec ses gares perdues et ses saloons de poche.
Sunset Limited : sous le ciel brûlant du Sud
Trois fois par semaine seulement, le Sunset Limited trace une ligne douce et poussiéreuse entre Los Angeles et La Nouvelle-Orléans. Palm Springs, avec ses maisons modernistes figées dans le temps, puis San Antonio, où l’histoire mexicaine se fait sentir dans chaque pierre, chaque mission. Au Texas, le train devient une capsule temporelle, au rythme d’un Sud qui ne se laisse pas apprivoiser.
Lake Shore Limited : les rives de l’Est
Partant de Chicago pour Boston ou New York, le Lake Shore Limited longe les Grands Lacs comme on longe une frontière invisible. L’automne y est une merveille absolue : les érables s’enflamment, le ciel pâlit, les eaux prennent des reflets de mercure. Ce voyage se mérite, lent, parfois brumeux, mais toujours mélancolique.
City of New Orleans : ballade en majeur
Le train qui relie Chicago à La Nouvelle-Orléans est une ode au blues, au jazz et à la soul. Il fait escale à Memphis, ville de la légende Elvis Presley. Là, on visite Graceland comme on entre dans un sanctuaire, avant de filer sur Beale Street où les guitares pleurent encore les grands noms disparus. À bord, le voyage devient presque musical. On n’écoute plus les roues crisser, on les entend swinguer.
Amtrak en chiffres : l’épine dorsale du rail américain

Fondée en 1971, Amtrak a hérité d’un réseau morcelé, issu de 21 compagnies privées. Aujourd’hui, elle sillonne 46 États sur 21 400 miles, avec 44 lignes. Les trains Acela, stars du nord-est, atteignent 240 km/h. Mais c’est le voyage en lui-même, souvent hors du temps, qui séduit : 22,9 millions de passagers ont pris le train en 2022, dont sept millions pour la première fois. Un chiffre en hausse, même s’il reste en deçà des niveaux d’avant-pandémie.
Le rail émet 34 % de gaz à effet de serre en moins qu’un vol intérieur, et 46 % de moins qu’un trajet en voiture. Une avancée environnementale discrète mais significative. Le gouvernement l’a bien compris, en injectant 22 milliards de dollars sur cinq ans pour moderniser les wagons, étendre le réseau et rendre les gares plus accessibles.
Prendre le train aux États-Unis : ce qu’il faut savoir
Réserver ses billets se fait directement via le site ou l’appli Amtrak, ou bien par le biais d’agences spécialisées comme Amtrak Vacations ou Vacations by Rail. Il est conseillé de s’y prendre tôt, notamment pour les couchettes, car les tarifs grimpent avec la demande.
Pour une expérience façon Interrail, le USA Rail Pass permet 10 trajets en 30 jours pour 499 dollars. Avec un peu de chance, on peut même le dénicher à 299 dollars lors de ventes flash. Seul hic : pas de cabines, uniquement des places en classe économique.
À bord, les services varient : un wagon café sur la plupart des lignes, des repas inclus pour les voyageurs en cabine, et un Wi-Fi de base sur les trajets courts et moyens. La nuit, la magie opère dans les voitures-lits, mais attention aux retards fréquents, souvent dus aux trains de marchandises prioritaires. En cas d’arrivée tardive, il vaut mieux garder une marge avant un vol ou une correspondance — aucune indemnisation n’est prévue, ici, on voyage à l’ancienne.
FAQ – Voyager en train aux États-Unis
Quels sont les avantages de voyager en train aux États-Unis plutôt qu’en avion ou en voiture ?
Le train permet une expérience immersive et contemplative. Contrairement à l’avion, il offre une vue directe sur les paysages grandioses du pays et favorise les échanges humains. Contrairement à la voiture, il libère du stress de la conduite tout en permettant un itinéraire riche et varié.
Comment réserver un billet de train aux États-Unis ?
La réservation se fait directement sur le site officiel d’Amtrak (amtrak.com), l’unique opérateur national de trains de voyageurs. Il est également possible de passer par des agences spécialisées comme Vacations By Rail ou Amtrak Vacations pour des circuits tout compris.
Est-ce que le train est ponctuel aux États-Unis ?
Les trains longue distance peuvent subir des retards, notamment à cause du trafic ferroviaire de marchandises. Il est donc conseillé de prévoir une marge confortable si vous avez des correspondances ou un vol à prendre après le trajet.
Peut-on dormir à bord des trains Amtrak ?
Oui, de nombreuses lignes proposent des cabines couchettes. Le confort est simple mais suffisant pour les longs trajets. Le billet inclut souvent les repas pris dans la voiture-restaurant, dans une ambiance conviviale.
Quel est l’itinéraire le plus spectaculaire à faire en train aux États-Unis ?
Le California Zephyr, entre San Francisco et Chicago, est souvent cité comme l’un des plus beaux trajets ferroviaires au monde. Il traverse montagnes, rivières, canyons et grandes plaines en 51 heures d’émerveillement pur.
